Accompagner et accueillir les émotions de son enfant : un voyage au cœur de la parentalité positive

Quand les émotions de nos enfants nous désarçonnent

 

Les émotions de l’enfant constituent l’un des aspects les plus délicats de la parentalité. Elles surgissent avec intensité, souvent de manière imprévisible, et peuvent mettre le parent en difficulté. Pourtant, loin d’être de simples débordements, ces émotions jouent un rôle essentiel dans le développement affectif, social et cognitif de l’enfant.

 

Un enfant en pleurs au milieu du salon. Un autre qui crie de toutes ses forces parce qu’on lui demande d’éteindre la télévision. Un troisième qui s’enferme dans sa chambre après une dispute avec sa sœur. Pour de nombreux parents, ces scènes sont le quotidien. Elles réveillent parfois en nous un sentiment d’impuissance, un agacement, voire même une peur : "Est-ce que mon enfant va toujours réagir de façon si excessive ? Est-ce que je ne fais pas fausse route ? "

 

La parentalité positive nous propose une autre lecture de ces situations. Plutôt que de considérer les émotions de l’enfant comme des problèmes à régler ou des caprices à mater, elle nous invite à les voir comme des messages précieux, des signaux intérieurs qui méritent d’être entendus, reconnus et accompagnés.

 

Dans le cadre de la parentalité positive, l’enjeu n’est pas de réprimer ou de minimiser ces manifestations, mais bien de les accueillir, de les comprendre et de les accompagner. Ce processus permet à l’enfant de construire progressivement sa capacité à identifier, exprimer et réguler ses émotions, compétences centrales de ce que l’on appelle l’intelligence émotionnelle.

 

🧠 Chapitre 1 : Comprendre le fonctionnement émotionnel de l’enfant et son monde intérieur

 

1.1. Un cerveau en construction

L’enfant vit dans un univers où les émotions sont intenses, brutes, et parfois déroutantes. Contrairement à l’adulte, il n’a pas encore acquis les outils nécessaires pour réguler ses ressentis.

Le cerveau joue ici un rôle central.

  • Le cerveau émotionnel (système limbique), déjà très actif dès la naissance, capte, ressent et exprime.
  • Le cortex préfrontal, siège de la régulation et de la réflexion, se développe lentement et ne sera totalement mature qu’à l’âge adulte, autour de 25 ans.

Ainsi, un jeune enfant ressent intensément mais régule difficilement. Cela signifie qu’un enfant, lorsqu’il se met en colère ou qu’il pleure, n’a pas la capacité d’« appuyer sur pause » comme nous le faisons. Ses émotions l’envahissent comme une vague, et il a besoin de la présence sécurisante d’un adulte pour l’aider à retrouver un équilibre.

 

1.2. Les émotions comme signaux internes

Les émotions sont d’ailleurs comme des boussoles, elles possèdent chacune une fonction spécifique : :

  • La joie signale un besoin satisfait.
  • La colère traduit souvent un sentiment d’injustice ou de frustration.
  • La peur alerte face à un danger, réel ou imaginé.
  • La tristesse marque la perte de quelque chose d’important ou un manque.

Plutôt que de considérer ces émotions comme des “caprices”, il est essentiel de les voir comme des indicateurs précieux du vécu intérieur de l’enfant.

Quand on comprend cela, on cesse de voir les émotions comme des obstacles ou des ennemis à combattre. Elles deviennent alors des alliées pour mieux comprendre notre enfant.

 

Chapitre 2. Les conséquences d’une non-reconnaissance des émotions

 

Ne pas accueillir les émotions revient à transmettre à l’enfant le message que ce qu’il ressent est secondaire, inutile, gênant ou inapproprié.

Les réactions les plus fréquentes des adultes sont :

  • Minimiser : “Ce n’est rien, arrête de pleurer.” "Tu n’as pas de raison de pleurer, regarde, il y a plein d’autres jouets. "

 --> L’enfant comprend : " Ce que je ressens n’a pas d’importance. "

  • Punir ou isoler : “Va dans ta chambre jusqu’à ce que tu sois calmé.”

-->L’enfant comprend : "Quand je ressens trop fort, je suis seul et rejeté. "

  1. Raisonner trop vite : "Ce n’est pas grave, il suffit d’en racheter un autre. "
    -->L’enfant comprend : "On ne veut pas m’écouter, seulement trouver une solution."

 

Ces réactions ne sont pas dues à un manque d’amour, mais bien souvent à notre propre héritage éducatif. Combien d’adultes d’aujourd’hui ont grandi en entendant : "Les garçons ne pleurent pas ", "Arrête de faire ta comédie"

Ces attitudes, souvent héritées de nos propres modèles éducatifs, ont pour conséquence de couper l’enfant de ses ressentis. À long terme, elles peuvent favoriser la répression émotionnelle, l’explosion de colère, ou encore une faible estime de soi.

La parentalité positive propose de briser ce cycle pour apprendre à nos enfants que ressentir est normal, et que chaque émotion mérite d’être accueillie.

 

Chapitre 3 : Les 5 étapes clés de l’accompagnement émotionnel

 

Accompagner une émotion, c’est comme aider un enfant à traverser une tempête. Il ne s’agit pas de la faire disparaître immédiatement, mais d'apprendre à la vivre, à l’apaiser, puis à en tirer un enseignement.

 

1. Observer sans juger

Rester attentif aux signes visibles : le ton de la voix, les gestes, les larmes. Se rappeler que l’émotion n’est pas un problème, mais une information.

Prendre le temps d’analyser le langage corporel et les expressions de l’enfant. Reconnaître que toute émotion est légitime, même si le comportement associé ne l’est pas toujours.

 

2. Nommer l’émotion

Mettre des mots simples sur ce que vit l’enfant :

  • " Tu es triste parce que ta copine est partie. "
  • “ Tu es triste parce que ton jouet s’est cassé.”
  • " Tu es en colère car tu voulais continuer à jouer. "
    La verbalisation permet à l’enfant de
    mettre de l’ordre dans son ressenti, de mettre de l’ordre dans son chaos intérieur et favorise le développement de son vocabulaire émotionnel.

 

3. Valider le ressenti

Exprimer explicitement que l’émotion est compréhensible :

  • "Je comprends que tu sois déçu, c’était important pour toi."
  • " C’est normal d’être triste quand on perd quelque chose qui compte pour nous. "

Valider, ce n’est pas encourager un comportement négatif (comme taper), mais reconnaître que l’émotion en elle-même est légitime.

 

4. Offrir une présence sécurisante

Parfois, l’enfant n’a pas besoin de discours, seulement de savoir qu’il n’est pas seul dans sa tempête.

La simple présence d’un adulte calme, un câlin, une main posée sur l’épaule, une attitude ou un regard bienveillant créent un cadre de sécurité émotionnelle.

 

5. Orienter vers l'apaisement , une solution, et la réflexion

Une fois l’intensité émotionnelle retombée, proposer des outils de régulation : respirer, dessiner, secouer un coussin, aller marcher…

Puis, une fois apaisé, réfléchir ensemble à une solution et à d’autres stratégies pour gérer la situation dans le futur : " La prochaine fois, que pourrais-tu faire pour exprimer ta colère autrement ? "

 

Chapitre 4 : Les outils et dispositifs pratiques et concrets pour le quotidien

 

La parentalité positive ne se limite pas à une posture, elle se traduit aussi par des pratiques concrètes :

  • La boîte à émotions : cartes illustrées permettant à l’enfant d’identifier son état émotionnel. L’enfant choisit celle qui correspond à ce qu’il ressent.
  • Le coin calme : (distinct d’un lieu de punition) : un espace rassurant, un refuge, équipé de coussins, livres, doudou ou objets sensoriels, pour favoriser le retour au calme.
  • Le carnet des émotions : chaque soir, écrire ou dessiner ensemble une émotion vécue dans la journée et ce qui a été son déclencheur
  • Les rituels corporels : Exercices de respiration « ballon » (gonfler le ventre), yoga pour enfants, câlins prolongés, massages…
  • Les histoires utilisées comme médiateurs narratifs : lire des contes où les personnages vivent et traversent leurs émotions.

 

📖 Chapitre 5 : Exemple pratique d'une scène vécue

 

Imaginez un enfant de 6 ans, qui hurle parce que son château de cubes vient de s’écrouler.

  • Réaction traditionnelle non accueillante :
    "Ce n’est rien, tu recommenceras. "
     L’enfant se sent incompris et frustré.
  • Réaction positive et accueillante :
    • Observer : “Je vois que tu es très en colère et triste.”
    • Nommer : "Tu es triste et frustré parce que tu as travaillé dur, et ton château s’est écroulé."
    • Valider : "C’est vrai que c’est difficile quand on a travaillé dur, et c’est normal d’être déçu quand quelque chose d’important s’abîme."
    • Contenir : rester présent, proposer un câlin. "Viens, on prend une grande respiration ensemble. "
    • Orienter : "Si tu veux, on peut réfléchir ensemble à une base plus solide pour le reconstruire?"

Résultat : l’enfant se sent entendu, rassuré, et apprend que ses émotions sont gérables. Il apprend à identifier, exprimer puis réguler son émotion, tout en gardant confiance dans le lien parental.

 

Conclusion : un cadeau pour la vie

Accueillir les émotions de son enfant, ce n’est pas céder à tous ses désirs ni nier son autorité de parent. C’est au contraire poser les fondations d’une relation de confiance et de sécurité intérieure. Il s’agit de reconnaître le vécu intérieur de l’enfant, de valider ses ressentis tout en posant des limites claires sur les comportements.

 

Ce processus contribue à développer chez l’enfant des compétences essentielles : conscience de soi, confiance, empathie et capacité de régulation. En créant un cadre sécurisant et bienveillant, le parent lui offre un véritable socle de résilience pour sa vie future

 

Un enfant dont les émotions sont reconnues devient un adulte capable de gérer ses propres tempêtes intérieures, d’écouter celles des autres, et de bâtir des relations solides et saines.

C’est sans doute l’un des plus beaux cadeaux que nous puissions offrir à nos enfants : la liberté d’être pleinement eux-mêmes, dans toutes leurs couleurs émotionnelles.

 

BONUS:

 

Les impacts immédiats et à l'âge adulte de l’accueil ou du rejet des émotions sur le développement de l’enfant

 

Dans l’enfance immédiate

  • Si les émotions sont accueillies :
    • L’enfant développe un sentiment de sécurité intérieure.
    • Il apprend que ses émotions ne sont pas dangereuses → ce qui favorise la confiance en soi.
    • Il parvient plus facilement à se calmer, grâce à la co-régulation avec l’adulte.
    • Ses comportements deviennent progressivement plus coopératifs (car il se sent entendu).
  • Si elles sont ignorées ou réprimées :
    • L’enfant peut manifester plus de crises, colères et résistances (car il cherche à être entendu).
    • Risque de développer une peur d’exprimer ses ressentis (intériorisation).
    • Augmentation des comportements de compensation (pleurs prolongés, agressivité, isolement).

 

 Dans la relation aux autres (fratrie, camarades, enseignants)

  • Émotions accueillies :
    • Développement de l’empathie : l’enfant qui a appris que ses émotions comptent comprend mieux celles des autres.
    • Capacité à gérer les conflits avec des mots plutôt qu’avec des gestes violents.
    • Meilleure adaptation scolaire et sociale grâce à une plus grande régulation émotionnelle.
  • Émotions non reconnues :
    • Risque de comportements agressifs ou de domination (extériorisation).
    • Ou au contraire, tendance à se mettre en retrait, à manquer d’assertivité (intériorisation).
    • Relations plus tendues avec les pairs, difficultés à se faire des amis durables.

 

À l’âge adulte

  • Si les émotions ont été accueillies :
    • Construction d’une intelligence émotionnelle solide : capacité à identifier, exprimer et réguler ses ressentis.
    • Meilleure gestion du stress et des conflits dans la vie professionnelle et personnelle.
    • Relations affectives plus équilibrées, basées sur la communication et le respect.
    • Plus grande résilience face aux épreuves de la vie.
  • Si les émotions ont été rejetées :
    • Risque accru de troubles anxieux ou dépressifs liés à la répression des émotions.
    • Difficultés relationnelles (incapacité à exprimer ses besoins, peur de l’intimité, conflits fréquents).
    • Stratégies d’évitement (fuite, addictions, perfectionnisme extrême).
    • Moins de confiance en soi et tendance à rechercher sans cesse la validation extérieure.

 

Tableau comparatif

 

Accueil des émotions

Non-accueil des émotions

Confiance en soi

Faible estime de soi

Capacité à réguler ses émotions

Risque d’explosions ou de répression

Empathie et coopération

Agressivité ou retrait social

Résilience adulte

Vulnérabilité aux troubles émotionnels

Relations équilibrées

Relations conflictuelles ou dépendantes

 

 

Bibliographie

 

Ouvrages et auteurs clés

  • John Bowlby – Père de la théorie de l’attachement, il a posé les bases de la compréhension du lien affectif entre enfant et parent ; un attachement sécurisant devient un socle pour une régulation émotionnelle saine
  • Carolyn Saarni – Pionnière en compétence émotionnelle, elle propose un modèle en huit dimensions (conscience de soi, empathie, communication, etc.) dans The Development of Emotional Competence (Guilford Press, 1999)
  • Margot Sunderland – Psychologue reconnue pour ses travaux en neurosciences affectives et parentalité, elle auteur de The Science of Parenting, qui explore l’impact des interactions adultes-enfants sur le développement cérébral
  • John Gottman & Joan Declaire – Dans Raising an Emotionally Intelligent Child (1998), ils proposent une méthode d’« emotion coaching » en cinq étapes pour aider les parents à guider l’enfant dans la compréhension de ses émotions
  • Daniel Goleman – A popularisé le concept d’intelligence émotionnelle dans Emotional Intelligence: Why It Can Matter More Than IQ (1995), insistant sur l’importance de cultiver cette habileté dès l’enfance

 

Articles et revues scientifiques recommandés

  • Zimmer‐Gembeck et al. (2022) – Méta-analyse soulignant que les capacités des parents à réguler leurs émotions sont étroitement liées aux comportements parentaux et à l’ajustement émotionnel et comportemental des enfants SAGE Journals.
  • Emotion regulation in parenthood (2015) – Revue de littérature sur comment l’expérience de la parentalité modifie les stratégies émotionnelles des parents et comment ces dernières façonnent le développement émotionnel de l’enfant ScienceDirect.
  • Jones et al. (2014) – Étude longitudinale démontrant que le style d’attachement maternel (évitant vs anxieux) et les difficultés de régulation émotionnelle influencent les réponses aux émotions négatives chez l’adolescent PMC.
  • Maternal ER and child irritability (2022) – Montre une corrélation entre les difficultés de régulation émotionnelle de la mère et l’irritabilité de l’enfant en bas âge ScienceDirect.
  • Revue systématique (2022) – Panoramique des styles parentaux et de leurs impacts sur la dysrégulation émotionnelle chez les enfants et adolescents, incluant les effets de la permissivité, de la rigueur psychologique ou du contrôle intrusif SpringerLink.
  • Denham et al. – Recherche sur les liens entre la responsivité maternelle émotionnelle et la compétence socio-émotionnelle des enfants (années 1990), abondée par une revue plus récente comparant styles parentaux, attachement et régulation des émotions PMC SpringerLink.
  • Salovey & Mayer – Conceptualistes du modèle de l’intelligence émotionnelle, même s’ils ne ciblent pas spécifiquement la parentalité, leurs travaux cadrent la théorie sous-jacente
  • Dozier & Bernard – Précurseurs d’interventions fondées sur l'attachement (ABC: Attachment and Biobehavioral Catch-up), visant à soutenir les parents de nourrissons vulnérables et à améliorer la régulation émotionnelle chez l’enfant
  • Halberstadt – Affective Social Competence : modèle intégrant la capacité à exprimer, percevoir et réguler les émotions dans un contexte social familial